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Articles lundi 20 novembre 2023

Diversité dans la pratique

Du monde au Québec : l’intégration des avocats nés hors frontières

Par Ophélie Lamard

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Venus des quatre coins du monde avec l’ambition d’exercer une carrière d’avocat au Québec, les étudiants et juristes d’ailleurs s’intègrent dans l’institution judiciaire québécoise avec succès. Leurs ambitions professionnelles sont épaulées par un programme d’actualisation universitaire.

Le Québec attire de nombreux juristes étrangers portés par le désir d’exercer leur profession dans la province francophone. Cependant, du fait de la réglementation de la profession, la plupart doivent suivre à nouveau des cours à l’université, bien qu’une partie de leurs études antérieures soit reconnue.

L’Université de Montréal (UdeM) a mis en place un programme unique d’actualisation de formation en droit afin de faciliter l’intégration des ressortissants étrangers. Une grande partie des aspirants avocats y effectuent une quinzaine de cours après avoir obtenu la décision du Comité des équivalences du Barreau du Québec. Après la validation des unités académiques requises, les juristes s’orientent vers la préparation des examens du Barreau du Québec, ultime étape à réussir pour devenir membre de l’Ordre et avoir lautorisation d’exercer dans leur terre d’accueil.

Le programme se veut flexible, puisqu’il est possible d’effectuer une rentrée chaque trimestre et que des cours du soir sont offerts.

« Quand on est dans une société qui favorise limmigration qualifiée, c’est essentiel davoir un programme afin d’accompagner les nouveaux arrivants, pour quils sachent où aller. »

Me Paolo De Michele

«  À une époque, cela semblait exceptionnel, mais désormais, c’est une réalité. Évidemment, il y a des enjeux, mais ils sont propres aux professionnels formés à l’étranger, aux adultes qui retournent aux études ou aux étudiants internationaux. Chaque trimestre, par exemple, des personnes sont dans lobligation de reporter leur inscription faute de ne pas avoir reçu leur permis d’études à temps. Notre rôle n’est pas de mettre des barrières inutiles. Plusieurs ont des enfants et occupent un emploi à temps plein en parallèle  », affirme Me  Paolo De Michele, responsable du programme d’actualisation de formation en droit à l’Université de Montréal.

Considéré comme une terre dopportunités, le Québec séduit les étrangers. Un coup d’œil sur les dernières données de Statistique Canada et de l’Institut de la statistique du Québec permet de cerner l’ampleur de ce phénomène : le nombre de résidents non permanents, soit ceux détenant un permis de travail ou d’études, et celui des demandeurs dasile ont connu une augmentation de 86  700  personnes en 2022, pour un effectif total denviron 346  000 en janvier 2023. Le paysage migratoire est, pour sa part, marqué par une prédominance des ressortissants français, suivis des Chinois, des Algériens et des Haïtiens.

285 étudiants issus de 49 pays

L’Université de Montréal compte, pour le trimestre d’automne 2023, 285  étudiants inscrits au programme d’actualisation en droit qui sont originaires de 49  pays. Les Français y sont majoritairement représentés, suivis des Haïtiens, des Ivoiriens, et des Libanais. L’âge moyen est de 34  ans, et plus de 60  % de ces étudiants détiennent une maîtrise, tandis que 5  % sont titulaires d’un doctorat. 

Selon le Barreau-mètre 2022 – La profession en chiffres, soit le plus récent portrait de la profession juridique dressé par le Barreau du Québec, environ 25  % des avocats exerçant au Québec sont titulaires dune maîtrise et un peu moins de 2  % détiennent un doctorat en 2021. Dans de nombreux pays, le grade de maîtrise est requis pour accéder à l’École du Barreau. «  La majorité des personnes a déjà une expérience professionnelle substantielle, ce qui apporte de la richesse au secteur, avec une perspective nourrie de leurs expériences dans un système étranger  : 49  pays, ce sont 49  perspectives différentes  », souligne Me  De Michele.

Caroline Parente Moreira Pereira, Brésilienne d’origine, reflète cette diversité dans le paysage juridique québécois. Arrivée au Canada il y a six ans en compagnie de ses deux enfants, elle apporte avec elle deux décennies d’expérience en tant qu’avocate. Pour elle, la province francophone était une évidence. «  Le Brésil est un pays de tradition civiliste, tout comme le Québec. Bien que je parle anglais, ça avait plus de sens de m’installer ici que dans d’autres provinces. C’est aussi pour offrir davantage d’opportunités à mes enfants, surtout en termes de sécurité  », confie-t-elle.

Pourtant, linsertion professionnelle a apporté son lot de difficultés à cette mère de famille obligée de jongler entre ses études et un poste à temps plein en tant que gestionnaire à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill. «  J’avais trop d’expérience pour être parajuriste, mais je n’étais pas reconnue comme avocate, donc mes options étaient restreintes. Cela m’a motivé à faire les cours du programme d’actualisation en droit  », explique-t-elle alors qu’elle est justement plongée en pleine période de préparation pour ses examens du Barreau.

La transition professionnelle est un défi que Me  Horatio De Medeiros, ex-juriste pour un géant de l’électricité en France, connaît également. «  Le plus difficile, c’est d’obtenir la première expérience professionnelle québécoise. J’ai refusé des propositions non rémunérées  », se rappelle-t-il. Toutefois, grâce à son expérience professionnelle en France, il a réussi à obtenir un stage à la BNP Paribas au bureau de Montréal, avant de finalement rejoindre la Banque Nationale du Canada puis Rio Tinto. «  LAmérique du Nord offre beaucoup de possibilités et il y a davantage d’ouverture  », confie Me  De Medeiros, qui n’envisage pas de retour en Europe dans un futur proche.

«  Ça a changé ma vie, je ne regrette pas  »

Le constat est le même pour Me  Mélanie Ruiz-Pardo, originaire de Belgique, qui a été séduite par les opportunités professionnelles à la suite d’un échange scolaire en 2014. Titulaire d’un baccalauréat en droit ainsi que d’une maîtrise en droit des affaires, la jeune avocate a enrichi son curriculum vitae de plusieurs expériences dans le milieu juridique montréalais et travaille actuellement pour le cabinet Cain Lamarre.

«  La curiosité est l’un des critères les plus importants pour les recruteurs, et cest une qualité que la plupart des étudiants internationaux ont, car ils ont changé de pays. Étranger ou non, ce qui prime, cest d’être un excellent avocat.  »

Me Mélanie Ruiz-Pardo

Me  Ruiz-Pardo reconnaît cependant que les défis sont nombreux pour les jeunes talents venus dailleurs. «  Il y a le stress des études, mais également celui de l’immigration, qui est un grand enjeu pour les étudiants internationaux. Ça peut être compliqué de rentrer voir sa famille au moment des Fêtes, car le prix des billets d’avion est élevé.  »

Face à ces défis, la jeune avocate conseille à ses pairs de «  s’entourer de beaucoup de monde et de ne pas hésiter à communiquer avec différents professionnels  ». Aucun doute pour elle  : la décision de s’installer au Canada était la bonne. «  Ça a changé ma vie, je ne regrette pas  ».

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