Aller au contenu

Articles dimanche 11 décembre 2022

Isabelle Richer, journaliste aux affaires juridiques

Ce que je n’ai jamais raconté

Par Marie-Hélène Paradis

Partagez

D’emblée, le titre en dit déjà long. Une vingtaine d’histoires, toutes plus difficiles à lire les unes que les autres, dresse dans ce livre récemment publié par Isabelle Richer un portrait d’une portion de la société québécoise qui donne plutôt froid dans le dos.

Comment la journaliste qui a couvert les procès les plus marquants et les plus significatifs des vingt-cinq dernières années a-t-elle réussi à supporter cette difficile réalité tous les jours? « Évidemment, répond-elle, envoyer en rafale vingt-deux histoires, tu as l’impression que c’est une succession de journées de drames. Il ne faut pas oublier que tout ça se passe sur plusieurs années et que la vie au palais de justice n’est pas comme ça. Je n’ai pas suivi 22 procès à la suite, ce serait dur pour le moral! On finit par reprendre notre souffle et on se fait une carapace. » Plusieurs de ces histoires sont reliées à ses premières années de couverture des dossiers judiciaires au palais de justice, alors qu’elle était une jeune journaliste impressionnée et impressionnable. Affectée de façon permanente aux affaires judiciaires à partir de 1992, Isabelle Richer a d’abord travaillé à Télévision Quatre Saisons (TQS), avant d’entrer à l’emploi de Radio-Canada, où elle anime aujourd’hui, sur Ici RDI, une émission sur l'actualité judiciaire et policière au pays et à travers le monde.

L’amour des communications

Dès son plus jeune âge, elle voulait être archéologue. Elle s’est donc consacrée à des études néo-helléniques, en grec ancien et moderne, à l’Université de Montréal. À sa sortie de l’université, TQS lui ouvre ses portes et elle tente sa chance comme journaliste. « Je ne sais pas pourquoi je n’y avais pas pensé avant. J’ai toujours aimé les communications. J’ai fait de la radio étudiante et écrit dans le journal de l’université. Je sais que communiquer, c’est ma force. » En pratiquant son métier de journaliste au palais de justice, elle réalise qu’elle ne connaît rien du droit. Alors, elle commence un baccalauréat en droit à l’Université de Montréal, qu’elle ne terminera pas, car avoir un travail à temps complet et suivre des études en droit ne vont pas de pair. « J’ai vraiment aimé étudier en droit, à un point tel que j’ai pensé devenir avocate, mais l’amour de mon métier de journaliste l’a emporté! »

Les premiers pas dans les corridors du palais de justice

Sa première affectation a été le débat de la Cour d’appel dans le dossier Tremblay c. Daigle. La cause était compliquée et très spécialisée, mais combien intéressante pour une curieuse comme Isabelle, même si elle s’aperçoit en même temps qu’elle « n’était pas équipée pour suivre ça », comme elle le dit si bien. Le procès de Gilles Perron, ancien réalisateur à Radio-Canada, est aussi un déclencheur de son intérêt pour le domaine judiciaire. Voir une personne accusée de meurtre se promener dans les corridors du palais de justice, essayer de faire copain-copain avec les journalistes et parler à tout le monde en crânant suscite chez elle la curiosité pour son nouveau métier. Elle demande à son patron de penser à elle s’il désire envoyer un journaliste à temps complet au palais de justice, comme le font les autres médias. Occuper un tel poste signifie qu’elle sera « basée » tous les jours au palais de justice et qu’elle aura comme collègues les journalistes des différents médias.

Un travail de surveillance

« Ma vision du fonctionnement judiciaire a beaucoup évolué depuis le début de ma carrière. Au commencement, il y a les bons et les méchants. C’est tranché quand on ne sait pas comment fonctionne le système de justice. On veut voir comment on peut mettre de l’ordre là-dedans, une approche un peu manichéenne, mais rapidement, on se rend compte que c’est beaucoup plus complexe et qu’il faut le regard extérieur du journaliste pour tout remettre en perspective. » Progressivement, Isabelle Richer se rend compte que le rôle du reporter peut s’avérer important et accomplir un travail de surveillance capital.

« Il ne s’agit pas seulement de rapporter les histoires sordides entendues en cour. On doit aussi surveiller le système et les acteurs du monde judiciaire. Le palais, ce n’est pas juste les avocats, le juge, la victime et l’accusé; c’est aussi tous les mécanismes de l’appareil judiciaire. Il faut rapporter les faits, mais en plus surveiller le travail de tous les acteurs, juges, avocats, policiers et agents de probation, et observer comment fonctionne le système de libération conditionnelle. Le fonctionnement ou le dysfonctionnement finissent par nous préoccuper et, au fil des ans, on n’est plus submergé par les causes, par les faits épouvantables. On apprend comment ça marche, on lit des jugements de la Cour suprême du Canada, pour finir par comprendre un peu les mécanismes du système et donner des explications concrètes en plus de porter un regard critique sur tout ça. »

Elle donne comme exemple la situation décriée par des témoins délateurs qui se disaient trahis. La preuve a été établie que l’État manquait à ses contrats, à sa parole, et que les délateurs étaient manipulés. « Le système de protection des délateurs ne peut survivre si on ne peut miser sur eux en pleine guerre des motards, et surtout, si on ne peut s’imaginer qu’ils vont aider à faire condamner les criminels. » Autre exemple de l’utilité de l’observation d’un journaliste judiciaire : constater que dans leurs témoignages, des policiers prennent des petites libertés avec la vérité, en prétendant que leurs contradictions sont nécessaires pour le bien commun.

En conclusion, la journaliste confie que vingt-cinq années à côtoyer le pire de la nature humaine et à suivre les procès les plus marquants laissent des traces, et font comprendre que notre monde est composé d’êtres humains abîmés, rejetés et abandonnés. Pour chacun des accusés, on peut deviner une histoire, un parcours. Pour Isabelle Richer, c’est de la nécessité de se libérer des histoires entendues au fil des ans qu’est né le désir de partager ces réalités de notre société.

Ce que je n’ai jamais raconté, Isabelle Richer, Les éditions La Presse, 166 pages.

Partagez