Tour d’horizon des juridictions
Transparence et consentement
L’intelligence artificielle générative (IAG) transforme le domaine juridique. Pour les avocats et les avocates, ces outils offrent des avantages majeurs, à condition d’adapter leurs pratiques pour respecter leurs obligations déontologiques. Mais cette révolution technologique soulève des questions essentielles : comment assurer la transparence envers les clients? quand obtenir leur consentement éclairé? Déjà, plusieurs juridictions tracent la voie en proposant des lignes directrices axées sur une communication claire et responsable pour encadrer l’utilisation de ces outils.
Voici un aperçu de certaines recommandations dans d’autres provinces canadiennes et à l’international, à commencer par ce qui a été mis en place par le Barreau du Québec.
Québec
La publication du Barreau du Québec L’intelligence artificielle générative – Guide pratique pour une utilisation responsable met en lumière un principe clé prescrit par le Code de déontologie des avocats[1] : favoriser une relation de confiance entre les membres du Barreau et leur clientèle. Cette confiance repose sur une communication ouverte, honnête et transparente, où chaque élément clé du mandat est clairement expliqué. Si les situations exigeant une divulgation ou un consentement ne peuvent pas toujours être définies avec précision, une divulgation proactive est souvent la meilleure option pour préserver la confiance et répondre aux attentes de la clientèle.
Les avocats et les avocates doivent analyser chaque cas avec soin, en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs et en tenant compte :
- des risques liés à l’utilisation de l’IAG;
- de l’impact potentiel sur la prestation des services juridiques ou les résultats d’un dossier;
- des besoins spécifiques du client ou de la cliente;
- de la sensibilité des informations partagées;
- et de l’importance de l’IAG pour la tâche à accomplir.
En combinant leur jugement professionnel à une transparence rigoureuse, ils peuvent intégrer l’innovation technologique tout en respectant les normes déontologiques et en protégeant les droits de leur clientèle.
[1] Code de déontologie des avocats, RLRQ c B-1, r 3.1
Autres provinces canadiennes et à l’international :
Colombie-Britannique
En Colombie-Britannique, protéger la confidentialité est une priorité lors de l’utilisation de l’IAG. Les avocats et les avocates doivent éviter d’y introduire des informations sensibles sans les anonymiser au préalable. Si l’anonymisation est impossible, les membres doivent évaluer rigoureusement les risques et envisager d’obtenir le consentement de leurs clients et leurs clientes avant l’utilisation de l’IAG. Ce consentement, pour être valide, doit être informé, volontaire et consigné par écrit. Cela implique de fournir toutes les informations nécessaires pour permettre une décision éclairée.
Bien que l’efficacité des outils d’IAG soit souvent bien accueillie par la clientèle, des préoccupations légitimes peuvent surgir. Pour respecter leur obligation de franchise et de transparence, les avocats et les avocates doivent aborder de manière proactive l’utilisation prévue de ces technologies. Qu’il s’agisse d’un cadre général ou d’un dossier spécifique, cette transparence répond aux attentes et aux inquiétudes éventuelles des clients et des clientes.
Alberta, Saskatchewan et Manitoba
En Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, la transparence et la communication proactive sont aussi au cœur des pratiques liées à l’utilisation de l’IAG dans la pratique juridique, tout en s’adaptant aux réalités propres à chaque province.
En Alberta, on encourage les avocats et les avocates à transmettre dès le départ des informations sur l’IAG à leur clientèle, notamment dans la convention de mandat. Certains clients et clientes peuvent être mal à l’aise à l’idée que leur dossier soit partiellement traité par une IA, tandis que d’autres apprécieront la rapidité et l’efficacité qu’elle procure. Il est donc essentiel de préciser clairement quand et comment l’IAG sera utilisée, en mettant en lumière ses objectifs, ses avantages et ses limites. Cette approche favorise une communication claire et renforce la relation de confiance avec les clients et les clientes.
En Saskatchewan et au Manitoba, la transparence est également centrale, mais le consentement éclairé occupe une place particulière. En Saskatchewan, les bonnes pratiques insistent sur l’importance d’obtenir ce consentement lorsque l’IAG pourrait compromettre la confidentialité ou le secret professionnel. Les avocats et les avocates doivent analyser les risques avant d’en discuter avec leurs clients et leurs clientes, surtout pour des tâches perçues comme relevant d’un avocat ou d’une avocate, comme la rédaction préliminaire d’actes ou la préparation de questions pour un interrogatoire. Au Manitoba, on encourage également de divulguer l’utilisation de l’IAG pour des tâches similaires, et d’informer la clientèle des avantages et des risques, en particulier ceux liés à la confidentialité et au secret professionnel.
Dans ces trois provinces, l’approche préconisée est réfléchie et adaptée au contexte de chaque dossier en s’assurant que la clientèle comprenne bien les implications de l’utilisation de l’IAG. Les avocats et les avocates doivent fournir des informations claires, prendre en compte les attentes de leur clientèle et ses préoccupations, tout en respectant les obligations déontologiques qui guident leur profession.
Ontario
En Ontario, les avocats et les avocates ont une obligation d’honnêteté et de transparence envers leur clientèle, sur toute information importante liée à leur mandat. Cela inclut le devoir d’informer les clients et les clientes de tout élément pouvant avoir un impact sur leurs intérêts dans un dossier.
L’intégration de l’IAG dans les services juridiques ne fait pas exception. Informer les clients et les clientes de manière claire et complète est essentiel, en tenant compte de plusieurs facteurs :
- le type de technologie d’IAG utilisé et les conditions d’utilisation associées;
- son utilisation précise dans le cadre d’un dossier;
- son impact potentiel sur la prestation des services ou sur les résultats du dossier;
- les répercussions possibles sur les coûts des services juridiques;
- les mesures mises en place par le fournisseur d’IAG et le cabinet pour limiter les risques et respecter les règlements.
Il est particulièrement important de notifier la clientèle si l’IAG :
- joue un rôle direct dans les services offerts et pourrait influencer les résultats du dossier;
- comporte des risques, notamment pour la confidentialité ou la sécurité des données;
- peut avoir un impact sur les coûts.
Perspectives internationales : l’American Bar Association et la Fédération des Barreaux d’Europe
Aux États-Unis, l’American Bar Association (ABA) rappelle qu’il est important que les avocats et les avocates consultent leur clientèle de manière raisonnable sur les moyens employés pour atteindre leurs objectifs. Cela inclut une communication transparente et un engagement à agir dans l’intérêt des clients et des clientes.
En Europe, la Fédération des Barreaux d’Europe insiste sur la clarté des communications. Elle demande aux avocats et aux avocates d’expliquer les objectifs, les avantages et les limites de l’IAG, afin que leurs clients et leurs clientes comprennent bien son impact sur leur dossier.
La décision d’informer ou non la clientèle dépend souvent des circonstances. L’ABA recommande une évaluation au cas par cas, qui tient compte :
- des besoins et attentes des clients et des clientes;
- de la sensibilité des informations partagées;
- et de l’importance de l’IAG dans une tâche spécifique.
Les avocats et les avocates doivent aussi évaluer si l’utilisation de l’IAG pourrait influencer la perception ou la confiance de leur client ou de leur cliente envers leur travail. Par exemple, un impact significatif de l’IAG sur un élément clé d’un dossier justifie généralement une discussion préalable.
Dans ces deux juridictions, la transparence est un impératif. Les avocats et les avocates sont encouragés à détailler l’utilisation des outils d’IAG, à évaluer les risques et à expliquer les mesures prises pour les minimiser. Cette approche protège la relation de confiance tout en respectant les normes éthiques et professionnelles.
Transparence et discernement dans l’utilisation de l’IAG :
Les juridictions analysées s’accordent toutes sur l’importance de la transparence et du consentement éclairé pour préserver la confiance de la clientèle. Tandis que certaines exigent une divulgation préalable et systématique de l’utilisation de l’IAG, d’autres laissent aux avocats et aux avocates le soin de faire preuve de discernement selon les circonstances. Cette diversité d’approches souligne la nécessité d’adapter la communication et les pratiques professionnelles pour répondre au mieux aux attentes et aux besoins de la clientèle.
Pour explorer davantage : bibliographie
- American Bar Association. Generative Artificial Intelligence Tools: Formal Opinion 512. juillet 2024
- Barreau du Québec. L’intelligence artificielle générative ― Guide pratique pour une utilisation responsable. Octobre 2024
- Fédération des Barreaux d’Europe. Guidelines on How Lawyers Should Take Advantage of the Opportunities Offered by Large Language Models and Generative AI. juin 2023
- Law Society of Ontario. Generative AI: Your Professional Obligations. avril 2024
- Law Society of Saskatchewan. Guidelines for the Use of Generative Artificial Intelligence in the Practice of Law. février 2024
- Len Polsky, Law Society of Alberta. The Generative AI Playbook How Lawyers Can Safely Take Advantage of the Opportunities Offered by Generative AI. janvier 2024
- The Law Society of British Columbia. Guidance on Professional Responsibility and Generative AI. 2023
- The Law Society of Manitoba. Generative Artificial Intelligence. Guidelines for Use in the Practice of Law. avril 2024