Articles Tuesday, September 23, 2025
Harcèlement psychologique et profession d’avocat
Une décision qui marque un tournant
By Yves Doucet

Une décision rendue en début d’année par le Conseil de discipline du Barreau a marqué un tournant important pour la profession. Pour la première fois, un avocat a été reconnu coupable d’avoir eu un comportement s’apparentant à du harcèlement psychologique envers une collègue avocate. Au-delà du cas particulier, cette décision établit une jurisprudence qui rappelle à chaque membre du Barreau son obligation de contribuer à un milieu de travail sain et respectueux.
Le reflet d’un changement culturel
En 2015, le respect des droits fondamentaux de la personne, dont celui de ne pas subir de harcèlement ou de discrimination, a été inscrit au préambule du Code de déontologie des avocats à titre de valeur et de principe. En 2020, s’est ajouté l’article 4.1 qui prévoit l’interdiction du harcèlement et de la discrimination. Ces ajouts n’étaient pas le fruit du hasard. Ils reflétaient une évolution profonde des normes sociales, juridiques et professionnelles.
Au cours des dernières décennies, notamment dans la foulée du mouvement #MeToo (#MoiAussi), la société québécoise a connu une transformation majeure en ce qui concerne sa compréhension des dynamiques de pouvoir, du respect en milieu de travail et des droits fondamentaux.
Autrefois, certains comportements jugés « anodins » ou « dans la culture du bureau » pouvaient être minimisés, voire tolérés. Des remarques désobligeantes, des blagues à caractère sexiste, des gestes de dénigrement ou des comportements hostiles étaient parfois considérés comme faisant partie de la réalité du travail, sans en mesurer les conséquences. On était loin de penser qu’un geste en apparence aussi banal que celui de transmettre un courriel écrit en lettres majuscules pouvait susciter un malaise, être perçu comme une violence verbale par le destinataire. Aujourd’hui, ces mêmes gestes sont reconnus pour ce qu’ils sont : des formes d’incivilités qui, répétées, deviennent du harcèlement psychologique et minent la santé des individus et l’intégrité des milieux de travail.
En rendant sa décision, le Conseil de discipline a confirmé la portée concrète de ce changement. La santé psychologique et le respect des personnes sont désormais reconnus comme des conditions essentielles à l’épanouissement professionnel et à la qualité des services offerts au public.
Si la jurisprudence du Conseil de discipline du Barreau faisait déjà état de décisions liées à du harcèlement ou à des propos à caractère sexuel, il s'agit ici d'une première décision en lien avec des comportements et propos s'apparentant à du harcèlement ou à des violences psychologiques.
Soulignons qu’avant d’être soumis au Conseil de discipline, le dossier avait fait l’objet d’une enquête approfondie par le Bureau du syndic. Comme dans tout processus disciplinaire, cette étape a été essentielle pour recueillir les témoignages, analyser les faits allégués et évaluer la crédibilité des versions en présence. Le Conseil de discipline a ainsi été en mesure de rendre une décision éclairée, en s’appuyant notamment sur la recommandation conjointe sur sanction présentée par la partie plaignante et l’intimé.
Ce que la décision nous enseigne
Le verdict illustre de façon claire que des gestes ou propos s’apparentant à du harcèlement psychologique n’ont pas leur place dans la profession. Trois enseignements principaux s’en dégagent :
- La responsabilité individuelle est engagée. Chaque avocat ou avocate doit veiller personnellement à son comportement dans ses interactions professionnelles.
- Le seuil de tolérance a changé. Ce qui pouvait autrefois être perçu comme un « style de gestion » ou de simples « frictions entre collègues » est aujourd’hui reconnu comme inacceptable et sanctionnable.
- L’exemplarité est requise en tout temps. Les obligations déontologiques ne s’arrêtent pas aux relations avec les clients. Elles s’étendent aussi aux interactions entre collègues, employés, stagiaires et partenaires.
En résumé, avocats et avocates ne peuvent plus se réfugier derrière des usages du passé ou derrière l’argument de la « culture du bureau ». Leurs actions et leurs façons d’agir doivent être cohérentes avec les valeurs et les principes d’aujourd’hui : respect, dignité, intégrité, bienveillance et respect des droits fondamentaux de la personne.
Le droit à un milieu de travail sain et bienveillant
Cette décision rappelle également un principe fondamental : tous, incluant chaque membre du Barreau, ont droit à un environnement de travail sain et sécuritaire.
Ce droit n’est pas une faveur accordée par les employeurs, mais une obligation découlant à la fois du droit du travail, des chartes de droits et du Code de déontologie des avocats. Pour un avocat ou une avocate, l’engagement professionnel ne doit pas se limiter à la prestation de services juridiques ; il comprend aussi la responsabilité de préserver l’intégrité du climat de travail dans lequel ces services sont rendus. Cet engagement doit en tout temps valoriser la collaboration, l’écoute et la considération mutuelle.
La prévention : une responsabilité partagée
Si la sanction disciplinaire est un outil important, elle n’est pas une fin en soi. L’objectif du Code de déontologie des avocats demeure d’abord et avant tout la prévention.
Pour les professionnels, cela signifie faire preuve de vigilance en continu face à ses propres comportements et à ceux observés dans son entourage. Quant aux organisations, que ce soit un cabinet, le service juridique d’une entreprise ou autres, elles doivent, comme tout autre milieu de travail, mettre en place des politiques claires et des mécanismes de signalement accessibles et, au besoin, offrir des formations axées sur les comportements à éviter et sur ce qui contribue à un environnement de travail respectueux.
En parallèle, le Barreau s’engage à accompagner ses membres dans ce changement culturel. C’est ainsi qu’il met à leur disposition divers outils et programmes de prévention et de soutien. En 2023, il a notamment lancé le Programme d’Aide et de Soutien Aux Juristes (PASAJ) qui propose une gamme complète de services en matière de soutien et d’accompagnement pour les victimes ou les témoins de discrimination et de harcèlement. Les membres du Barreau et les stagiaires peuvent ainsi communiquer en toute confidentialité avec une personne formée spécifiquement pour les écouter et les informer des services offerts et des recours possibles, y compris, s’il y a lieu, un accompagnement pour une demande d’enquête auprès du Syndic.
Lorsqu’ils sont appelés à témoigner devant un comité du Barreau, ils peuvent également se référer au Guide pour les victimes de harcèlement ou de violence sexuelle, conjugale ou familiale.
S’y ajoute la ligne Info-Harcèlement pour obtenir des renseignements et des conseils concernant la déontologie et les comportements s’apparentant à du harcèlement. Sans oublier les capsules vidéo éducatives pour aider à reconnaître et à dénoncer des situations de harcèlement sexuel.
Ces ressources sont là pour rappeler à chaque personne qu’elle n’est pas seule et qu’il existe des moyens concrets d’agir.
Un signal à l’ensemble de la profession
En définitive, cette récente décision ne doit pas être vue comme une exception mais comme un rappel que la profession évolue avec la société. Elle envoie le message que le harcèlement psychologique et la discrimination sont désormais considérés comme des manquements graves qui peuvent mener à des sanctions disciplinaires.
Ce signal est important à plusieurs titres. Il rassure les personnes victimes, incluant les avocats et les avocates, qui savent désormais qu’elles peuvent être entendues et protégées. Il met en garde les membres qui pourraient être tentés de banaliser certains comportements. Il contribue à rehausser la crédibilité et l’image de la profession aux yeux du public.

Le Barreau du Québec a toujours eu pour mission de protéger le public et d’encadrer la pratique de la profession. En sanctionnant des comportements associés à du harcèlement psychologique, il affirme que la compétence technique et le respect des règles de droit ne suffisent pas : l’éthique relationnelle fait désormais partie intégrante des attentes envers les avocats et les avocates.
À chaque membre du Barreau revient alors la responsabilité d’incarner ce changement. Non seulement pour se conformer aux règles, mais aussi pour bâtir collectivement un milieu de pratique exemplaire, à la hauteur des valeurs de dignité, de respect, d’intégrité et de bienveillance que la profession souhaite défendre.