Articles Tuesday, June 3, 2025
Lutte au blanchiment d’argent
Les règles, les risques et les bonnes pratiques

Le blanchiment d’argent est un phénomène qui, par son importance, peut causer des torts considérables à l’économie légale. Il ne peut être endigué que par un effort concerté de tous les membres de la société civile, incluant le Barreau du Québec et ses membres.
Des règles particulières et des bonnes pratiques ont été mises en place par le Barreau dans le but de prévenir ou réduire les risques d’instrumentalisation des comptes détenus en fidéicommis par les avocats dans le cadre d’un stratagème de blanchiment d’argent.
Un bref survol de tous ces éléments s’impose.
Pourquoi les professions juridiques sont-elles ciblées?
La pratique du droit peut, en l’absence des précautions d’usage, s’avérer un terreau fertile pour ceux et celles qui voudraient blanchir de l’argent, notamment en ayant recours aux comptes en fidéicommis. Comme le souligne le Groupe d’action financière (GAFI) dans les Lignes directrices de l’approche fondée sur les risques pour les professions juridiques : « L’utilisation de comptes client a été identifiée comme une vulnérabilité potentielle, du fait qu’elle peut être perçue par des criminels soit comme un moyen de fondre des fonds entachés d’illégalité dans le système financier général, soit comme un moyen permettant de superposer ces fonds de façon à camoufler leur source, car les institutions financières posent moins de questions en raison de leur respectabilité perçue et de la légitimité ajoutée par l’implication des membres de professions juridiques. »
La compétence, la crédibilité et l’intégrité de l’avocat ou de l’avocate dans sa prestation de services juridiques, de même que son obligation de respecter le secret professionnel sont des caractéristiques fortement rattachées à l’exercice de sa profession. Elles sont en outre un gage de qualité des services qu’ils rendent. Toutefois, elles peuvent contribuer à masquer des transactions illicites dès lors que le membre de l’Ordre est de mauvaise foi ou ne prend pas les mesures nécessaires pour se prémunir contre les risques d’utilisation abusive de son compte en fidéicommis.
Le nerf de la guerre : l’identification des clients et la traçabilité des transactions
Toute forme de blanchiment d’argent implique le traitement ou la transformation de produits issus de la criminalité en vue d’atteindre deux objectifs : masquer leur origine et leur conférer une légitimité dans l’économie légale. Une telle opération peut être réalisée par l’occultation des sources de provenance des fonds, en changeant leur forme ou en les déplaçant à un endroit où ils attirent moins l’attention. Dissimuler l’identité des personnes impliquées, par l’intermédiaire de prête-noms, de sociétés-écrans ou d’autres stratagèmes analogues constitue également une partie intégrante de l’opération.
Pour le membre du Barreau, la lutte au blanchiment d’argent implique donc nécessairement l’adoption de pratiques exemplaires en matière d’identification des clients et de gestion des transactions réalisées dans son compte en fidéicommis.
Dans sa Foire aux questions sur les exigences d’identification et de vérification de l’identité des clients, le Barreau rappelle l’importance de bien identifier son client (et le tiers pour lequel il agit, le cas échéant) et ensuite de vérifier s’il est bien la personne qu’il prétend être, dans la mesure où sa prestation de services juridiques implique une réception, un versement ou un transfert de fonds. À cette fin, le Barreau recommande les méthodes de vérification suivantes :
- utilisation d’une pièce d’identité avec photo, délivrée par le gouvernement;
- consultation des renseignements figurant au dossier de crédit de la personne;
- utilisation de la méthode à processus double;
- dans le cas d’une personne morale, consultation des registres gouvernementaux ou par l’obtention d’actes constitutifs et autres documents permettant de confirmer l’existence de cette personne et des informations requises sur les personnes qui la possède ou en détiennent le contrôle effectif.
En ce qui a trait à la traçabilité des transactions, le Barreau souligne également, dans sa Foire aux questions, que l’avocat doit faire des recherches suffisantes pour déterminer si quelque chose porte à croire que les renseignements concernant la provenance des fonds ou l’opération proposée ne correspondent pas à ce qui est su à propos du client, de sa profession, de son profil économique, de ses activités, de son profil de risque et des circonstances de l’opération. L’avocat doit notamment documenter l’identité des parties dans la transaction impliquant son client, la date à laquelle les fonds ont été reçus ou transférés et la relation entre son client et les autres parties impliquées par la transaction.
Lorsque l’identification d’un client et d’une partie impliquée dans une transaction s’avère difficile ou que la source des fonds transigés dans le cadre d’une prestation de services juridique s’avère douteuse, il est préférable de refuser de représenter ce client ou de cesser de le représenter. Il importe cependant de rappeler que l’avocat demeure tenu au secret professionnel, sauf lorsque l’exception de crime trouve application.
« Nous rappelons à tous nos membres de procéder aux vérifications nécessaires : qui est vraiment son client, obtenir les preuves confirmant son identification et la provenance de ses fonds. L’avocat doit être convaincu que la transaction dans laquelle il est impliqué est légitime », indique Me Catherine Ouimet, directrice générale du Barreau du Québec.
Les principaux risques
1. Achat et vente de biens immobiliers
Le risque de blanchiment d’argent est important en matière de vente immobilière, puisqu’il s’agit habituellement de transactions simples, permettant des mouvements rapides et importants des fonds par l’intermédiaire du compte en fidéicommis en lien avec un actif sécuritaire et légitime (l’immeuble) ou par l’intermédiaire d’une convention hypothécaire lui étant associée. La vente immobilière constitue en ce sens un véhicule intéressant pour les criminels intéressés à blanchir de grandes quantités d’argent, surtout lorsqu’il est possible d’y associer un avocat ou une avocate. L’identification et la vérification de l’ensemble des parties impliquées dans la transaction, conformément aux obligations imposées par le Barreau, peuvent grandement réduire les risques d’être impliqué dans une telle situation.

Pour de plus amples détails sur les risques, consultez les Lignes directrices et approche fondée sur les risques pour les professions juridiques, produites par le GAFI, et l’Avis relatif aux risques de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes publié par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
2. Constitution de sociétés et de fiducie
Tout avocate ou avocat doit faire preuve de vigilance lorsqu’il lui est demandé de de s’impliquer, au nom d’un client, dans la constitution d’une personne morale ou d’une fiducie, ou dans la réalisation d’un montage corporatif impliquant plusieurs de ces entités, ainsi que plusieurs administrateurs, actionnaires ou bénéficiaires. En l’absence des vérifications requises, l’avocat ou l’avocate peut conférer, par ses actions, une légitimité à un montage corporatif destiné principalement à recycler les produits de la criminalité.
Ainsi, des mandats consistant à établir un montage comprenant des sociétés dormantes ou requérant la constitution d’un nombre élevé de sociétés-écrans ou encore impliquant des transferts de fonds avec des sociétés offshore devraient être perçu comme des « drapeaux rouges ». Dans de telles situations, des vérifications plus poussées s’imposent en ce qui a trait aux besoins du client et des tiers possiblement impliqués. Le projet de mandat devrait en outre faire état de la nécessité de confirmer l’identité du client et des tiers impliqués préalablement dans la réalisation des services.
Outils et formations
Le Barreau met plusieurs outils à la disposition des avocats et des avocates ainsi que des formations pour les aider à prévenir les risques de blanchiment d’argent.
Ainsi, dans une section de son site Web dédiée à la lutte au blanchiment d’argent, le Barreau diffuse des informations permettant aux avocats et avocates de bien comprendre la teneur de leurs obligations face à ce phénomène. Cette section comporte en outre une série d’outils et de bonnes pratiques les incitant à se conformer à leurs obligations professionnelles.
En ce qui a trait aux formations, il importe de mentionner le programme de formation gratuit sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, mis de l’avant par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Une formation en ligne axée sur Les clients qui utilisent les services des avocats pour blanchir des produits de la criminalité est également disponible par l’intermédiaire de la plateforme de formation continue du Barreau.
Restez à l’affût!
Au cours des prochains mois, le Barreau du Québec accentuera ses efforts de sensibilisation et d’éducation au bénéfice des avocates et des avocats. Le Barreau invite donc ses membres à rester à l’affût des activités à venir et les incite, dans l’intervalle, à intégrer les bonnes pratiques au quotidien et à prendre les actions requises pour assurer leur intégrité professionnelle.
Concrètement, que doit faire une avocate ou un avocat face à une situation de blanchiment d’argent?
Si, malgré toutes ses précautions, un membre du Barreau se retrouve confronté à une situation de blanchiment d’argent, il doit cesser immédiatement de travailler pour le client. « Il faut que le membre considère ceci comme un abus de confiance. Sinon, il devient complice et peut être passible de sanctions criminelles et disciplinaires. Il doit cesser la relation avocat client immédiatement », explique Me Ouimet.
Il importe toutefois de préciser qu’un juriste demeure tenu au secret professionnel et qu’il doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession. Il ne peut divulguer une information confidentielle que dans des circonstances très spécifiques, notamment lorsque cela concerne l’exception de crime, soit le fait, pour le client, de faire affaire avec l’avocat en vue de commettre un crime, ce qui, dans le présent contexte, consisterait à solliciter l’avocat en vue d’obtenir des conseils, un accompagnement ou de l’assistance pour blanchir de l’argent. Cependant, si le client avoue avoir déjà blanchi de l’argent, la conversation demeurera privilégiée.