Articles lundi 2 juin 2025
Rencontre avec le nouveau bâtonnier du Québec
Pour une justice plus rapide et accessible
Par Yves Doucet

Me Marcel-Olivier Nadeau est officiellement devenu bâtonnier du Québec le 2 juin 2025. Élu par acclamation, cet avocat originaire de Chicoutimi arrive en poste fort d’un engagement soutenu à l’égard de la population et de la profession, notamment comme bâtonnier du Saguenay—Lac-Saint-Jean, puis comme vice-président du Barreau du Québec. Un parcours qui lui a permis d’acquérir une solide connaissance des enjeux touchant la justice.
Lorsqu’il s’agit du contrôle de l’exercice de la profession, de l’accès à la justice et de la primauté du droit, Me Nadeau reconnaît que les défis sont nombreux et souvent complexes. Loin d’en être intimidé, le nouveau bâtonnier affiche sa volonté de conjuguer la continuité et le changement. Dans cet entretien inaugural, Me Nadeau partage sa vision, les priorités de son mandat et le sens qu’il souhaite y donner, soit être au service d’une profession dans un monde en pleine transformation en misant sur le dialogue et des gestes concrets.
Tout d’abord, félicitations pour votre nomination. En prenant connaissance de votre dossier de mise en candidature, on comprend que ce mandat s’inscrit de façon naturelle dans votre cheminement professionnel. Est-ce le cas?
Je vous remercie. C’est clair qu’on ne se lève pas un matin en se disant « Je veux devenir bâtonnier du Québec ». En fait, mon engagement au sein de la profession remonte à 2015, quand je suis revenu pratiquer dans ma région natale après des années d’absence. De prime abord, même si je suis originaire de la région, je pouvais être perçu comme l’étranger qui dérange : j’arrivais pour ouvrir un nouveau bureau, sous une nouvelle bannière. Je me suis alors dit qu’en m’impliquant au sein de mon barreau de section, cela me permettrait de créer des liens et de montrer mon intérêt à mieux comprendre les enjeux locaux et à m’investir. De fil en aiguille, j’ai été administrateur, trésorier, puis bâtonnier du Saguenay—Lac-Saint-Jean en 2020-2021. Ensuite, les circonstances ont fait que c'était au tour d’un représentant de la région à siéger au Conseil d’administration du Barreau du Québec. C’est ce qui m’a amené à occuper le poste de vice-président du Barreau au cours des trois dernières années.
Je dirais qu’il s’agit d’un cheminement à la fois naturel et nourri par un réel intérêt envers les enjeux de la profession. Le Barreau a une mission fondamentale de protection du public, qui se décline selon trois axes principaux : le contrôle de l’exercice de la profession, l’accès à la justice et la primauté du droit. Ces dimensions m’interpellent profondément. Comme administrateur, puis vice-président, j’ai pu m’investir dans des dossiers concrets, côtoyer les équipes de la permanence, comprendre le rôle stratégique de notre institution. Devenir bâtonnier, c’était poursuivre cet engagement avec un plus grand levier d’action.
Vous résidez à Chicoutimi. Comment envisagez-vous ce mandat à distance, notamment en ce qui concerne la conciliation travail-famille?
C’est une question que je me suis évidemment posée sérieusement, notamment avec ma conjointe et mes deux jeunes enfants. Je n’ai pas l’intention de m’installer à Montréal à temps plein : ce serait contraire à l’idée du Barreau du Québec qui encourage l’exercice du droit dans les régions. Aujourd’hui, avec les outils numériques, la mobilité et une meilleure reconnaissance des réalités familiales, je crois qu’il est tout à fait possible d’exercer cette fonction en partie depuis l’extérieur des grands centres. D’ailleurs, ça envoie aussi un message clair : le Barreau du Québec peut et doit refléter toute la diversité géographique de ses membres.
Ce qui m’amène à parler de la façon dont vous envisagez votre mandat. Quelles sont vos priorités? Quelle est votre vision pour le Barreau du Québec?
D’abord, en matière de justice civile et familiale, il est à mon avis essentiel d’amorcer un véritable changement de culture judiciaire. Le Canada ne se classe pas bien parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en ce qui concerne les délais et l’accessibilité de la justice. Il est temps de repenser nos façons de faire pour offrir une justice plus accessible, plus rapide, mieux adaptée. Il faut avoir l’ouverture et le courage d’envisager des réformes d’envergure. Par exemple, dans les dossiers civils de moins de 500 000 $, les dates de procès devraient être fixées dès l’institution des procédures judiciaires et la procédure préalable devrait être grandement simplifiée et encadrée en gestion d’instance hâtive. Ces façons de faire sont utilisées ailleurs dans le monde avec des résultats probants sur les délais et les coûts pour les citoyens et les citoyennes. La prévisibilité qu’elles amènent permettrait par ailleurs de recourir à des modes de facturation autres que le taux horaire, comme la facturation forfaitaire ou à pourcentage. Ainsi, l’offre et la demande de services juridiques pourraient beaucoup mieux s’arrimer.
En ce qui a trait à ma vision pour le Barreau du Québec, il m’apparaît essentiel de renforcer notre présence auprès de la population, notamment lors des rentrées judiciaires, pour faire de ces moments des occasions de dialogue. Alors que ces rentrées se déroulent actuellement en formule bipartite, entre les juges et les avocats, je souhaite que ces événements deviennent tripartites, et qu’on ajoute les citoyens à la discussion. Aussi, je propose la tenue de forums régionaux sur la justice afin d’aller à la rencontre du public, des organismes communautaires et des membres de l’Ordre aux quatre coins de la province. Il faut aller à la rencontre des leaders régionaux afin de mieux saisir les problématiques locales et s’attaquer en priorité à celles touchant le plus grand nombre de justiciables. Enfin, je souhaite mener une offensive annuelle d’information juridique, portant sur un sujet d’actualité, afin que la population comprenne mieux l’importance et la pertinence de notre institution.
Quant à la primauté du droit, on peut à juste titre être inquiet de voir ce qui se passe aux États-Unis avec les menaces qui pèsent sur l’état de droit, l’indépendance des avocats et celle des institutions. À cet égard, je préconise une campagne permanente sur l’importance de la société de droit et du respect des institutions démocratiques, car ces valeurs fondamentales ne doivent jamais être tenues pour acquises.
Comme vous pratiquez en région, est-il juste de croire que l’accès à la justice hors des grands centres fait également partie de vos préoccupations?
Tout à fait. J’en suis issu, je connais la réalité du terrain. Depuis deux ans, un plan d’action a été mis en place pour favoriser la relève juridique en région. Ce plan doit évoluer; je propose notamment une carte interactive des besoins par domaine de droit et par région, des jumelages en repreneuriat, et un soutien accru à la création de programmes de droit dans les universités régionales. Il faut que les jeunes aient envie de venir, et surtout de rester, en région pour pratiquer la profession. La vitalité du réseau judiciaire en dépend.
Jusqu’ici, nous avons parlé des grands chantiers. Mais il y a aussi des enjeux à d’autres niveaux qui ont une incidence importante. Pensons à l’intelligence artificielle, au bien-être psychologique.
Ce sont des sujets majeurs. Concernant l’intelligence artificielle, il faut non seulement encadrer son usage, mais surtout éviter que des membres soient laissés pour compte. J’insiste sur la nécessité d’un accompagnement ciblé. Cela fait partie de la mission fondamentale du Barreau que de s’assurer que les outils technologiques soient raisonnablement disponibles et efficacement utilisés pour et par le plus grand nombre. Quant au bien-être psychologique, c’est un enjeu qui me tient à cœur. Le Barreau du Québec a déjà posé des gestes forts, notamment avec la Déclaration commune signée avec les juges en chef. Je souhaite aller plus loin, en créant une véritable culture de soutien, de mentorat, et en impliquant personnellement les membres dans cet engagement. Je veux également porter une attention particulière à la détresse psychologique chez les membres de trois ans de pratique et moins, qui est, malheureusement, en forte hausse.
En résumé, voyez-vous votre mandat sous le signe de la transition ou de la continuité?
Sur certains plans, comme celui des relations avec les membres ou de la relève en région, il s’agira de poursuivre des efforts déjà amorcés. Mais en matière d’accès à la justice, je propose une transition réelle, un changement de culture. Ce sont des transformations de fond, qui vont nécessiter du temps, de la concertation, de la volonté. Mais le moment est propice. Et je pense que les acteurs sont prêts à avancer.
Justement, comment cela se traduira-t-il dans la relation du Barreau avec les membres?
Au moment de poser ma candidature, j’ai pris l’engagement de faire une reddition de comptes claire et régulière. Cela pourra prendre la forme de lettres ouvertes, de capsules, de publications ciblées selon les enjeux. Je veux aussi encourager une parole plus libre des membres sur les sujets de fond. Le Barreau n’est pas qu’un organe de contrôle; c’est aussi un lieu d’échange, un espace pour penser collectivement notre avenir professionnel.
On parle souvent des 100 premiers jours comme étant une période clé pour donner le ton à l’ensemble d’un mandat. Comment envisagez-vous vos 100 premiers jours?
Nous sommes le 2 juin. Si je dois être jugé sur les trois prochains mois, je devrai sortir plusieurs personnes de leurs vacances! Plus sérieusement, dès la fin de l’été, je veux faire en sorte que les 100 premiers jours donnent le ton. Mon objectif est de mobiliser rapidement les partenaires autour des grands chantiers : les délais en justice, la transformation de la culture judiciaire, et, incidemment, une facturation plus adaptée aux besoins des citoyens et citoyennes. À la rentrée de septembre, je souhaite qu’on sente de façon claire que le Barreau se met en marche pour initier ces profonds changements.
Enfin, à l’échéance de votre mandat, quel élément vous ferait dire : « mission accomplie »?
Si je sens que le mouvement est lancé, que le Barreau est devenu un acteur incontournable dans la transformation de la culture judiciaire et que les autres partenaires — les tribunaux, le ministère de la Justice, les avocats et avocates — s’y engagent avec nous, alors je pourrais parler d’une mission en bonne voie d’être accomplie. Je ne prétends pas tout changer en deux ans, mais je serai satisfait si cette dynamique est bien enclenchée.