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Articles jeudi 18 mai 2023

Chronique littéraire

Je ferai le tour du monde

Par Marie-Hélène Paradis

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À la fin des années soixante, c’est le début des vacances d’été et Alexandra Szacka est une adolescente heureuse qui a hâte de commencer ses études au Lycée Rejtan, à Varsovie. Elle souhaite devenir chercheuse en sciences ou peut-être écrivaine ou comédienne. Mais elle verra tous ses rêves de jeune fille polonaise s’évanouir. Ses parents ont décidé qu’il leur fallait quitter Varsovie, les Juifs n’étant plus chez eux dans ce pays qui les a vus naître.

Alexandra est mise devant le fait accompli. Elle ne veut pas, pourtant, quitter ses amis. Arrachée à sa vie d’adolescente, elle se sent « comme une plante brutalement arrachée de son terreau » : elle n’a plus aucune appartenance. Elle doit renoncer à sa citoyenneté polonaise pour quitter le pays, et le document qui est remis aux membres de la famille, inventé de toute pièce pour les circonstances, mentionne simplement qu‘ils ne sont pas polonais. Leur premier arrêt est la France où la famille restera peu de temps avant de venir s’installer au Canada, à… Trois-Rivières.

Catastrophée et isolée par la barrière de la langue, Alexandra vit à ses 16 ans ses premiers mois en tant qu’étudiante trifluvienne. Elle est malheureuse et s’ennuie de ses amis de Varsovie avec qui elle cultive des relations à distance en leur envoyant des lettres empreintes de la nostalgie des amitiés perdues. Alors qu’elle se trouve, quelques années plus tard, en vacances chez son père biologique installé à Berlin-Ouest, elle trouve le moyen d’aller rejoindre l’amoureux qu’elle a quitté quelques années auparavant. Ils se retrouvent sur un terrain neutre pour les deux, car elle ne peut entrer à Varsovie et lui ne peut en sortir sans passeport. Cette rencontre est une expérience qui demande de la débrouillardise et la volonté de faire les choses, peu importe. Ce sera la dernière fois qu’ils se verront, mais cette rencontre remet en perspective pour Alexandra Szacka sa nouvelle vie d’immigrante et lui donne confiance en ses capacités de faire face à l’adversité. Elle vivra une autre situation semblable en allant visiter sa meilleure amie à Göteborg, ce qui viendra confirmer son désir, comme elle l’écrit, « d’aller au-delà de la ligne d’horizon ».

Ne sachant pas très bien la carrière qu’elle désire embrasser, elle fait tout d’abord des études en sciences pour choisir ensuite le théâtre et finalement bifurquer vers l’anthropologie, un champ d’étude qui confirme son désir de connaître et d’apprendre. Or, ce sont là aussi des qualités essentielles pour une carrière de journaliste!

Le moment pivot survient au cours d’un voyage à Varsovie en 1980. Animée par le besoin de relater les moments historiques que traverse à ce moment la Pologne, Alexandra y trouve l’occasion d’écrire ses premiers articles à son retour au Québec. C’est le début d’une carrière florissante, remplie de reportages aux quatre coins du monde, d’expériences et de rencontres palpitantes et enrichissantes, mais aussi, parfois, dangereuses.

Alexandra Szacka partage avec générosité le parcours de sa vie et les aventures incroyables qu’elle a vécues. À travers ses yeux, nous comprenons mieux les aléas de son métier de journaliste. Son regard empreint d’objectivité et de respect pour les personnes interviewées nous fait mieux comprendre les dimensions cachées de certaines situations qu’elle raconte. En conclusion, elle affirme que la compréhension reste le dernier rempart contre le fanatisme, la haine et l’injustice. C’est pourquoi, dit-elle, il faut continuer à raconter.

Je ferai le tour du monde est un livre passionnant pour qui veut mieux comprendre le métier de journaliste et son importance.

Je ferai le tour du monde
Alexandra Szacka
Les Éditions du Boréal
320 pages

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