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Articles lundi 10 avril 2023

Leur nombre explose

Les ordonnances de soins contre le gré d’une personne

Par Marie-Hélène Paradis

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Au Québec, la loi prévoit qu’un patient majeur n’est pas obligé de recevoir des soins de santé s’il n’y consent pas. Ainsi, les soins médicaux ne peuvent pas être imposés à moins de circonstances particulières, comme une situation d’urgence, la nécessité de soins d’hygiène, la présence d’une maladie infectieuse, l’état mental d’un patient présentant un danger pour lui-même ou pour la société, ou encore lorsque le tribunal a rendu une ordonnance de soins.

L’ordonnance de soins

Lorsqu’un patient majeur n’est pas capable de consentir par lui-même aux soins de santé et qu’il les refuse, un établissement de santé peut demander au tribunal une ordonnance de soins, explique Me Jacques R. Fournier, juge en chef de la Cour supérieure du Québec à la retraite et maintenant avocat au sein du cabinet Borden Ladner Gervais. « Chaque semaine, la cour de pratique de la Cour supérieure du Québec reçoit des gens en après-midi à la suite d’une requête faite par un CIUSS, un hôpital ou une prison pour demander une ordonnance de soins. Dans de tels cas, la personne visée ne doit pas être en mesure de reconnaître la nécessité des soins. » Il ajoute que ces mesures doivent être exceptionnelles et tenir compte de l’état physique et mental de la personne. « Ce sont souvent des cas de bipolarité, de schizophrénie, des gens qui ont perdu le contact avec la réalité », explique Me Fournier.

L’augmentation des cas

« À l’époque où j’ai été nommé juge il y a plus de vingt ans, on entendait ces cas une ou deux fois dans une semaine de pratique ou encore pas du tout. Aujourd’hui, c’est un minimum de quatre cas par jour, tous les jours et sur rendez-vous. Il y peut y avoir une attente qui s’étend jusqu’à deux mois. Lorsque que cela s’avérait nécessaire, pour réduire la liste d’attente, on utilisait les jours juges restants à la fin du mois, et on créait un rôle spécial pour entendre le plus de causes possibles. Le même phénomène se produit aussi dans les districts. Les gens ne sont pas représentés la plupart du temps, et même quand ils sont représentés, je ne me souviens pas d’une seule expertise médicale qui soit allée à l’encontre de celle des médecins ayant fait les examens. » Me Fournier ajoute que les mises en établissement, qui sont de la responsabilité de la Cour du Québec, ont aussi beaucoup augmenté.

Les causes probables

D’après les experts, l’accroissement de ces demandes d’ordonnances de soins va de pair avec l’augmentation des cas de maladie mentale dans notre société. Elle met également en lumière le vieillissement de la population. « Cela devient un phénomène de société, et le grand nombre de babyboomers se reflète dans l’augmentation des maladies et l’apparition de la sénilité. On peut aussi penser à la trop grande circulation des drogues dures qui hypothèquent sérieusement leurs utilisateurs. »

Selon Me Fournier, on peut certes mettre en cause la lenteur du système de justice pour les listes d’attente dans tous les domaines. Toutefois, il faut aussi prendre en compte que la Cour supérieure n’a qu’un nombre fixe de personnes pour entendre des causes. Pendant qu’un juge fait des ordonnances de soin, il ne fait pas autre chose. La multiplication de ce type de dossier a fait en sorte qu’il faut consacrer davantage d’effectifs pour les entendre, d’où l’engorgement des tribunaux. Les gouvernements sont trop lents à réagir pour actualiser le nombre de juges par rapport à l’augmentation de la population et des cas de plus en plus compliqués. La mise à jour des effectifs règlerait une partie du problème, mais il ne faut toutefois pas oublier que les tribunaux ne traitent que les conséquences légales d’un système de santé en difficulté et du vieillissement de sa population.

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