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Articles jeudi 24 août 2023

Portes tournantes, une série documentaire audio

Quand les problèmes de santé mentale ramènent à répétition devant la justice

Par Marie-Hélène Paradis

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L’expérience des portes tournantes, c’est celle vécue par les personnes dont la vie alterne pendant des années entre des peines d’incarcération et des périodes de liberté. Dans la série documentaire audio Portes tournantes, le réalisateur et documentariste Philippe Miquel propose une incursion au cœur des univers judiciaire, carcéral et policier afin de comprendre pourquoi autant de personnes souffrant de troubles de santé mentale se retrouvent accusées devant les tribunaux à répétition.

Les tribunaux surchargés, l’accumulation des sentences de détention, la clientèle hypothéquée par la vie, on en entend parler souvent, mais… Qu’advient-il de ces personnes qui se retrouvent accusées et détenues à répétition sans avoir accès aux soins dont elles ont besoin et auxquels elles ont droit?

Formé en droit criminel, Philippe Miquel a été admis au Barreau du Québec en 1994. Il a d’abord été avocat de la défense puis procureur de la Couronne dans l’Outaouais. Entre les deux, il a occupé un poste de journaliste-photographe chez Photo-Police durant un an. Il a donc passé beaucoup de temps dans les palais de justice et a eu le temps d’observer.

« J’ai remarqué que les gens que je voyais défiler comme accusés devant la Cour étaient pour la plupart des gens qui n’allaient pas bien, et qui vivaient des problèmes personnels de toutes sortes : difficultés émotives, pauvreté, alcoolisme, dépendance aux drogues, troubles psychologiques, problèmes de santé mentale. Plusieurs de ces personnes revenaient à répétition devant le tribunal, toujours avec de nouvelles accusations pour toutes sortes de délits criminels mineurs. Ces personnes, on les condamnait, chaque fois, à des peines de plus en plus lourdes. Elles allaient en prison, en sortaient, et revenaient devant la Cour plus ou moins rapidement. Comme tous les autres accusés, on cherchait à les punir d’avoir commis des crimes, comme si, magiquement, la punition allait les guérir et qu’elles ne recommenceraient plus. Je me suis demandé à quoi ça servait ce qu’on faisait au tribunal. »

Philippe Miquel a par la suite travaillé pendant dix ans chez Éducaloi en tant que vulgarisateur juridique. Là, il a eu l’occasion de collaborer à l’émission télévisuelle Le droit de savoir, produite par le Barreau du Québec. « J’ai tellement aimé la démarche documentaire que j’ai décidé de réorienter ma carrière et de devenir documentariste. J’ai, entre autres, travaillé à la série documentaire Justice pour Télé-Québec pour laquelle je devais trouver des protagonistes qui avaient une expérience du système judiciaire. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Suzanne, une femme qui m’a ouvert les yeux sur la réalité des portes tournantes. »

Le début de l’aventure…

Le fils de Suzanne, Éric, vivait la situation des portes tournantes depuis 25 ans au moment de cette rencontre. Suzanne a proposé à Philippe Miquel de venir avec elle le rencontrer en prison. Éric est ainsi devenu le protagoniste de la série Portes tournantes. Suzanne a raconté à M. Miquel ce qui se passait en détention, ce que faisaient les policiers, et ce qui se passait du côté de la psychiatrie pour que tant de personnes, qui n’ont pas nécessairement leur libre arbitre, se retrouvent accusées à répétition.

« C’est un constat affligeant. Les citoyens sont outrés par les gens qui commettent des infractions et veulent qu’on les punisse, croyant que ça va les guérir, sauf que ça ne fonctionne pas. Ces accusés prennent beaucoup de place dans les systèmes judiciaire et carcéral, ce qui contribue à l’engorgement des tribunaux. De surcroît, l’incarcération déracine ces personnes de leur milieu; elles peuvent perdre leur logement, leur emploi, leur animal de compagnie, leur dignité. Et ça, ça favorise la récidive! »

Philippe Miquel

L’histoire d’Éric est devenue le fil narratif de la série Portes tournantes, et les dix épisodes racontent son parcours. Éric nous explique sa réalité entre la rue, l'hôpital et la prison; sa mère nous parle de la quasi-impossibilité d'accéder à des soins adéquats et son psychiatre renchérit sur l'absence de soins psychiatriques en prison. Le réalisateur suit le dossier d’Éric de 2017 à 2021; durant cette période, il a été condamné pas moins de trois fois. Parallèlement, le documentariste a cherché à identifier les solutions qui pouvaient être apportées pour endiguer les portes tournantes.

« Qu’est-ce qui se met en place dans notre système pour régler ce problème? J’ai rencontré plusieurs intervenants pour tenter de comprendre les tenants et aboutissants du phénomène. Je me suis intéressé à la fameuse défense d’aliénation mentale. Est-ce une solution que de diriger ces gens vers des soins de santé plutôt que vers la détention? J’ai suivi les policiers d’une escouade spécialisée en santé mentale, rencontré des avocats et des juges. Je suis allé en milieu de détention afin de voir comment se prépare la sortie de prison d’une personne incarcérée et je me suis intéressé aux tribunaux spécialisés en santé mentale, celui de Sherbrooke en l'occurrence. J’ai fini par recueillir une foule de témoignages, dont notamment celui d’un sociologue et celui d’un homme qui a réussi à s’extraire des portes tournantes. Ces éléments ont jalonné la trame de ma série documentaire. »

L’évolution de la situation

Bonne nouvelle : entre le moment où Philippe Miquel a commencé à écrire sur le sujet en 2013, et 2021, les choses ont évolué positivement. La Cour du Québec a implanté le Programme d’accompagnement justice et santé mentale (PAJ-SM), qui permet une réduction de peine ou une déjudiciarisation. Par ailleurs, on assiste à une multiplication des escouades policières œuvrant de concert avec des travailleurs sociaux pour aider cette clientèle et la Chaire de recherche du Canada en santé mentale et accès à la justice a été mise sur pied. Bref, des structures d’aide voient le jour et la situation s’améliore. « Mais surtout, un consensus émerge, précise M. Miquel. La détention à tout prix ne fonctionne pas. Elle coûte cher, les gens récidivent, et ça engorge le système. »

« Tout le monde fait bien son travail dans le système. On y retrouve des gens de cœur, mais le système, dans les prémices de son fonctionnement, a un problème. Le système pénal repose sur le libre arbitre, mais, malheureusement, la plupart des citoyens qui vivent les portes tournantes ne sont pas adéquatement protégés par le droit dans la société. Heureusement, les différents intervenants sont à la recherche de solutions alternatives. »

Portes tournantes

La série audio Portes tournantes comprend dix épisodes de 20 à 30 minutes, et elle est disponible gratuitement en baladodiffusion sur différentes chaînes et plateformes.

Philippe Miquel, réalisateur
Production : Les Vues de l’Esprit
Série documentaire audio
10 épisodes
Durée par épisode: ±20 à ±30 minutes
www.portestournantes.com

Diffusion gratuite :

Savoir Média
Youtube
Apple podcast
Spotify

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