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Dossiers lundi 19 décembre 2022

Présence du Barreau du Québec aux Entretiens Jacques-Cartier

Par Marie-Hélène Paradis

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Fondé en 1987, les Entretiens Jacques-Cartier (EJC) ont pour but de rassembler les écosystèmes scientifique, académique, culturel, économique et politique d’Auvergne-Rhône-Alpes en France, du Québec et de la francophonie canadienne.

Ce grand rendez-vous annuel se déroule en alternance sur chacun de ces territoires, rassemblant à chaque année des acteurs et des décideurs autour d’événements francophones et interdisciplinaires pour échanger et collaborer à façonner, durablement et positivement, la société. Tables rondes, master class, conférences, ateliers : en 33 éditions, les EJC ont favorisé le partage du savoir et des expériences de quelque 80 000 participantes et participants de tous les horizons.

Cette année, le Barreau du Québec a organisé, conjointement avec le Barreau de Lyon, une rencontre dans le cadre des EJC qui s’est tenue le 29 novembre, au Centre Phi à Montréal. Le sujet s’est imposé naturellement à la suite de ce que tous ont vécu à l’échelle planétaire, alors que la table ronde s’intitulait : Regards critiques sur la COVID-19 et l’État de droit :(ré)concilier droits et libertés en période de crise sanitaire.

Crise sanitaire et urgence démocratique

Les barreaux du Québec et de Lyon ont porté un regard critique sur la gestion de la pandémie et ont traité, à travers les perspectives éthique, juridique, sociologique et philosophique, des enjeux de la liberté individuelle et des droits fondamentaux dans une société démocratique. Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec et Me Marie-Josephe Laurent, bâtonnière de Lyon, ont lancé le débat pour laisser par la suite la parole aux participants de la table ronde : Me Martine Valois, Me Pearl Eliadis, Me Franck Hurtrey et Karine Roudier.

La place de la science en temps de pandémie

En France comme au Québec, la question de la place de la science durant la gestion de la pandémie a pris toute son importance. Les différentes observations pointent toutes vers le même constat : l’indépendance des experts scientifiques n’est pas reconnue et elle est encore moins respectée. La manipulation de l’information à des fins politiques et son utilisation à géométrie variable pour servir les gouvernements sont aussi une source de préoccupation pour les panélistes. En France, que l’on parle de l’ouverture des classes, de la mise sur pied d’un conseil scientifique dès le début de la crise ou encore de l’utilisation des données scientifiques pour neutraliser les réactions des institutions judiciaires, toutes ces mesures, selon les experts, ont été utilisées en tant que preuves que le gouvernement faisait bien son travail pour protéger les citoyens. De nombreuses institutions, comme le conseil de défense et de sécurité nationale et le conseil scientifique, ont entouré les décisions gouvernementales avec une opacité évidente. Les experts qui se sont prononcés sur la place publique ont donné des versions différentes des faits, ce qui n’a fait qu’aggraver le scepticisme et le sentiment d’insécurité des citoyens.

Au Québec, l’indépendance des experts vis-à vis du gouvernement a aussi été pointée. Le sous-ministre à la Santé et le directeur de santé publique étant une seule et même personne, il y avait en effet matière à s’interroger sur la notion de l’indépendance scientifique. Tout au long de la crise sanitaire, on a pu constater que les décisions politiques n’étaient pas toujours harmonisées avec les constats des experts. L’appareil politique semble cultiver une méfiance à l’égard des experts en matière de santé, mais il est vrai, en revanche, que la science s’est retrouvée en évolution constante durant une telle gestion de crise et que des mesures contraignantes ont dû être imposées sur la base de données inconnues, ce qui rendait et encore aujourd’hui rend les décisions difficiles à prendre. Il faut aussi préciser que, selon la vision du parti politique au pouvoir, la confiance dans la science varie grandement. Au Canada, on se rappelle avoir vu un gouvernement conservateur abolir une agence scientifique indépendante parce qu’il estimait qu’elle donnait des conseils non convenables.

Les responsables

Leurs systèmes politique et juridique étant différents, la France et le Québec n’ont pas géré de la même façon la responsabilité des conséquences de la crise sanitaire. En France, il existe une juridiction d’exception, la Cour de justice de la République, qui a comme mission de juger les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. C’est ainsi que le processus de mise en cause a été enclenché à l’encontre d’une ancienne ministre de la Santé, pour mise en danger d’autrui, et contre un ancien premier ministre, pour ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour protéger la population. Les panélistes français trouvent cependant dommage qu’il n’y ait que cette voie pour la pénalisation du politique et pour offrir un débouché au mécontentement des citoyens.

Au Québec, la clause de non-responsabilité applicables dans tous les projets de loi fait en sorte que les ministres ne peuvent être poursuivis s’il est démontré que tout a été fait avec bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions. Lors de l’enquête de la coroner pour établir les causes des nombreux décès dans les CHSLD entre le 12 mars et le 1er mai 2020, on a pris conscience que le manque de décision de la ministre Mc Cann a entraîné des conséquences graves et empiré la situation, en provoquant la mort de plusieurs personnes âgées. Au Québec, les enquêtes du coroner ou les recours collectifs sont les moyens utilisés pour signaler un mécontentement social.

Les bilans

De manière unanime, les panélistes confirment que, selon eux, les problèmes de transparence émanent principalement du fait que le politique gère les crises comme le reste, soit en fonction d’une réélection future. Cela fait en sorte que s’il n’y a pas de pression continue sur les gouvernements, et qu’il n’y a ni post-mortem ni commission d’enquête. Il s’avère pourtant important de faire l’exercice de la rétrospective pour tirer des leçons et mieux faire la prochaine fois.

La Loi sur les mesures d’urgence du Canada, si décriée, est cependant un exemple en ce qui concerne les mesures de contrôle. Les chartes s’appliquent et le débat est obligatoire, donc on peut se prononcer sur la nécessité d’une telle intervention gouvernementale, ce qui n’est pas le cas au Québec. Tous sont d’accord pour dire qu’il devrait y avoir un comité parlementaire ainsi qu’une commission d’enquête à la suite des rapports déposés pour faire toute la lumière sur les responsabilités de chacun et qu’il est nécessaire que les décisions politiques soient alimentées par les données scientifiques.

En ce qui concerne la France, le bilan écrit est essentiel, et il a été fait par différentes instances, comme le Sénat qui a interviewé plusieurs corps de métiers liés à la crise pour produire un rapport important. L’aspect problématique cependant réside dans le fait qu’il n’y a aucune suite donnée à ces résultats ni de travail de pédagogie fait auprès des différentes instances. Le devoir de contrôle des gouvernements est essentiel pour la suite des choses.

Participation citoyenne

Les citoyens ont, eux aussi, un devoir à remplir lors de telles crises. Ils doivent en effet se poser la question essentielle du contrat social qu’ils désirent, se demander dans quel monde ils veulent vivre. Les droits de l’homme sont à la base de tout contrat social et les citoyens ont un rôle à jouer pour les faire respecter. Les concepts de liberté et d’égalité des droits font assurément partie d’une conversation que nous devons avoir en tant que citoyens responsables et impliqués. L’état de droit a été respecté par les gouvernements et les acteurs pendant la crise, mais il faut être sur nos gardes et créer un espace vraiment démocratique qui n’augmente pas les disparités. Il ne faut pas attendre qu’on nous offre ces droits, il faut aller les chercher dans l’espace public. Se réapproprier les droits et libertés est un objectif valable, mais c’est l’accès à l’information qui est la clé pour comprendre le monde qui nous entoure. Encore faut-il que cette information soit accessible à tous.

Cet échange tenait lieu de conclusion à la journée dédiée aux conséquences sur les enjeux de libertés individuelles et de droits fondamentaux dans une société démocratique.

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