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Dossiers lundi 27 juin 2022

Implication sociale, valorisation de la profession et passion pour la justice

Entretien avec les juges Robert Pidgeon et Jacques R. Fournier

Par Marie-Hélène Paradis

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Sur les thèmes de la passion, de l’implication et de l’empathie, abordés du point de vue de leurs longues expériences respectives en tant qu’avocat puis juge, les anciens juges de la Cour supérieure du Québec Jacques R. Fournier et Robert Pidgeon ont répondu aux questions de Me Sabine Uwitonze. L’humour et la franchise étaient au rendez-vous.

Une profession en mal de valorisation

La valorisation de la profession a été le premier sujet abordé par Me Uwitonze et peut-être celui qui a fait le plus réagir les deux protagonistes. Selon l’honorable Robert Pidgeon, les médias ont un rôle important à jouer dans la bonne compréhension du rôle des avocats et du système judiciaire auprès du grand public. Il ne mâche pas ses mots pour affirmer qu’afin de redonner confiance en la profession, il faut arrêter de penser en termes d’argent et plutôt parler d’implication sociale. L’honorable Jacques R. Fournier, quant à lui, souligne le fait que les gens qui retiennent les services d’un avocat veulent des résultats, rapides et moins coûteux, et ne veulent pas nécessairement que les actions mènent à un procès. Il faut donc faire l’effort de mettre le citoyen au centre de la profession et se connecter davantage sur les besoins du client.

Les deux s’accordent pour dire que la profession d’avocat ne pas doit être une activité consacrée simplement à faire de l’argent, mais qu’elle doit consister à bien aider les clients à trouver des solutions abordables et rapides, ce qui est tout un défi en soi.

L’honorable Jacques R. Fournier, Me Sabine Uwitonze et l’honorable Robert Pidgeon

Alléger le système judiciaire

L’allègement du système judiciaire préoccupe les juges depuis belle lurette, mais ils estiment que la question a été reléguée sans cesse aux oubliettes par le ministère de la Justice, déplorent-ils. Avec la collaboration du Barreau du Québec, il est possible, cependant, d’augmenter les exemples de médiation, de conciliation et de jugement sommaire qui ont pour effet de simplifier les démarches des justiciables. Le juge Fournier précise que la profession juridique, qu’il s’agisse des avocats ou des juges, est remplie en très grande majorité de personnes compétentes, qui sont de bonne volonté et de bonne foi. Malheureusement, une poignée d’entre elles sont récalcitrantes à l’efficacité et, parce qu’elles refusent de collaborer ou de rendre des jugements rapidement, contribuent à ralentir le système de justice et à en gâcher la réputation, déplore-t-il.

La pratique du droit aujourd’hui

Depuis le temps où les deux juges exerçaient comme avocats, la pratique du droit a bien changé, mais pas nécessairement pour le mieux, trouvent-ils. Le juge Pidgeon déplore que la pratique du droit soit devenue anonyme, qu’on identifie les dossiers avec un numéro plutôt que par le nom du client, qu’il faut remplir des feuilles de temps - une perte de temps selon lui -et, surtout, que les clients veulent des réponses à leurs questions en mode quasi instantané. Il faut selon lui revenir à la base, penser service à la clientèle et, surtout, toujours donner l’heure juste au client pour ne pas lui donner de faux espoirs ni le décevoir en lui donnant l’impression que la marchandise n’a pas été livrée. Le juge Fournier ajoute que prendre le téléphone et parler à un collègue peut éviter bien des quiproquos et désarmer bien des propos malencontreux.

Le rôle du juge

Avoir une excellente connaissance de ses dossiers et une préparation sans failles sont les principales qualités du juge, estiment messieurs Pidgeon et Fournier. « Pour être à l’aise de débattre avec les avocats et leur donner des consignes claires, il est primordial de bien connaître son dossier », explique le juge Fournier. Le juge Pidgeon affirme pour sa part que l’on doit revoir à la hausse les critères de sélection pour les candidats à la magistrature. Il faut, dit-il, des juges qui ont une sensibilité aux jeunes, aux genres, aux minorités et aux handicaps, pour bien faire le travail. Le juge Fournier ajoute qu’un juge se doit d’obtenir le meilleur des gens qui sont devant lui et que pour cela, il lui faut démontrer une ouverture aux autres et non les confronter. « Ça prend du temps pour devenir un bon juge, et on ne le devient pas en moins de vingt ans de pratique », affirment-ils.

Les deux hommes soulignent également l’importance d’un mentor dans la carrière d’un avocat et sont conscients que les mentors peuvent faire la différence entre un bon et un moins bon avocat.

Pourquoi devenir juge?

Le feu sacré pour la justice est le premier élément qui a poussé le juge Fournier à vouloir devenir juge. À cette motivation se sont ajoutées celles de vouloir trouver des solutions et d’avoir le sentiment de faire ce qu’il faut pour que justice soit rendue. « C’est tout de même un rôle difficile, un rôle pour lequel tous ne sont pas nécessairement outillés. Car il y a toute une différence entre prendre parti pour son client et juger qui a raison ou qui a dit vrai. On est très seul dans ce rôle », affirme-t-il. 

Du côté du juge Pidgeon, le désir de changer les choses, de donner un meilleur accès à la justice et de participer au développement d’outils pour alléger la profession ont été ses leitmotivs.

En conclusion, il ajoute que ça prend de la détermination et de la bonne volonté de la part de tous pour mettre en place de nouvelles façons de faire pour que la société ait éventuellement davantage confiance dans le système judiciaire.

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